« Ce n’est pas être heureux que je souhaite, mais être conscient »

Albert Camus

Alors faut-il rechercher le bonheur avant tout ou la conscience de qui nous sommes ? est-ce alors au mépris du bonheur ? Nous publions ici un extrait de l’article de Christian Roesch de la revue Reflets n°30, « le bonheur, un leurre ? » qui souligne combien le bonheur est circonstanciel et cyclique. La conscience de qui nous sommes, au coeur de toute recherche spirituelle, conduit à une joie profonde, celle de servir la Vie et de s’accomplir.
Christian Roesch a suivi l’enseignement de Bernard Montaud et de Gitta Mallasz.


Pour Bernard Montaud, notre personnalité a un fonctionnement cyclique (…). Aussi, la première définition du bonheur pourrait être « le bonheur est le temps où l’on ne perçoit pas sa souffrance : « je suis bien ». Le malheur commence avec les premières douleurs perçues. Il grossit jusqu’à ce qu’il soit évacué dans une crise. Bonheur et malheur s’engendrent mutuellement.

Ce fonctionnement omniprésent est perceptible dans trois dimensions de temps: proche, moyen, lointain :

  • les petits cycles d’un moment de la journée : j’ai une heure devant moi, je commence à écrire tranquillement. Bonheur. Je suis dérangé quinze minutes plus tard pour un problème à régler. Contariété : le malheur commence.
  • le moyen cycle de la journée : tout allait bien mais une dispute éclate au moment du repas.
  • un cycle plus grand, par exemple celui de la vie conjugale. Huit ans de mariage, tout allait bien jusqu’à une crise majeure de couple.

Ainsi, nous pouvons heureusement ressentir à plusieurs reprises des petits bonheur dans sa vie professionnelle ou conjugale….un certain temps car de grosses douleurs viennent parfois y mettre fin (…).

Bonheur et malheur semblent causés par des forces extérieures, la fatalité « j’ai pas de chance ! ».

A ces trois échelles, l’attention à soi permet de prendre conscience de l’instant où le mal-être arrive, perceptible. Au lieu de subir, il est possible de prendre le problème à coeur, en identifier la cause, comprendre combien il est normal que cela arrive puisque c’est conforme à mon histoire (= voir ce qui se répète cycliquement), porter un regard d’amour (= pardonner) sur celui qui, maintenant, répète le scénario du petit enfant ayant souffert de la même façon. Ce n’est donc pas la fatalité, le hasard : c’est moi qui reproduis le même fonctionnement. Alors, touché par mon histoire, réconcilié avec elle, je peux agir lucidement pour sortir de la souffrance. Il est évident que les actes sur les petits cycles sont plus faciles. Se réconcilier à table pour des pommes de terre pas cuites est plus facile que le faire pour des dépenses communes lorsqu’on est proche du divorce. L’effet d’entrainement à transformer les petits problèmes prépare à accepter les souffrances plus fortes qui nous sortent du bonheur.

Les actes issus surtout des petits inconforts, ont la vertu de nous sortir du cycle infernal (=qui enferme) pour nous mettre dans un autre état de nous-même : aimant, créateur, joyeux.

Nous entrons dans un cycle de joie croissante, car elle croit jusqu’à accoucher du nouveau. Si celui-ci se renouvelle, la joie continue. Sinon, le plus fréquemment, nous redescendons dans le cycle inférieur, celui de la vie courante. Et il nous faudra un autre inconfort qui nous interpelle pour rejoindre le meilleur de nous-même.

Qu’est-ce qui nous fait rester dans le cycle supérieur ? C’est la Tâche. En d’autres mots, servir la Vie.

Alors faut-il rechercher le bonheur ?

Le bonheur est un état passif. Ce qui est à rechercher, c'est devenir meilleur. Activement.
C'est la voie de la petitesse à la grandeur qui ouvre les organes des sens.
C'est la voie qui permet de dépasser la souffrance.
C'est la voie qui donne sens à la vie.
La joie est le résultat de ce dépassement.

D’après « le bonheur, un leurre ? », Christian Roesch, texte complet dans la Revue Reflets n°30.